Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/37

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bées dans l’action. Peut-être l’usure du climat n’y est-elle pas non plus étrangère, car les forces morales ne lui résistent souvent pas mieux que les forces physiques ; on vieillit vite sous ce ciel.

En Russie le mysticisme habite le Nord plutôt que le Midi et l’izba du paysan de préférence à la maison seigneuriale, parce que le moujik est plus voisin de la nature et qu’en Russie la nature est d’ordinaire plus mélancolique et plus mystérieuse dans le Nord. Le mysticisme russe se ressent, du reste, du sol et du peuple ; il conserve presque toujours une saveur de terroir. Ne lui demandez point l’exquise et allègre poésie de ce doux extatique de François d’Assise qui, dans sa charité, embrassait toute la nature vivante, prêchant aux petits oiseaux et « à ses sœurs les hirondelles ». Peut-être faut-il pour cela le ciel et les fraîches vallées de l’Ombrie ou de la Galilée. S’il n’a pas la suavité franciscaine, le mysticisme russe a rarement l’âpreté de l’ascétisme oriental. S’il est, lui aussi, souvent bizarre, lourd, prosaïque, il est d’ordinaire moins sombre et moins farouche. Il perd rarement tout à fait le sens du réel ; il garde des soucis pratiques jusque dans ses conceptions les plus folles. Son vol ne dépasse jamais les sommets. Le vide éther des espaces célestes, l’air raréflé des hautes cimes ne conviennent point à ces enfants de la plaine. Jusqu’en ses envolées les plus hardies, le Russe ne quitte presque jamais la terre du regard. Aux songes les plus étranges de l’illuminisme religieux ou de l’utopie politique, il mêle fréquemment les calculs de l’esprit le plus pratique : curieuse alliance qui se rencontre en d’autres pays du Nord, en Angleterre et surtout aux États-Unis. C’est là peut-être une des rares ressemblances des Russes et des Américains.

C’est que le fond du caractère russe demeure un positivisme latent, un réalisme, lui aussi, parfois inconscient qui perce à travers tout ce qui le recouvre et le déguise. Nous avons déjà eu l’occasion d’insister sur ce trait, et il suffit