Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus rigoureux théologiens, entraînant derrière eux le plus grand nombre de bezpopovtsy, car, dans les religions, la logique l’emporte encore sur la piété et la tête sur le cœur. Ceux-là ne reculent devant aucune conséquence de leur doctrine et repoussent tous les subterfuges de la dévotion en deuil. Il n’y a plus de sacerdoce, et il n’y a plus de sacrements que celui que peuvent administrer les laïques, le baptême. Aucun simulacre ne peut suppléer aux autres. Ces chaînes sacrées par où l’Église rattachait la terre au ciel sont brisées, un miracle seul peut les renouer. En attendant, les vrais chrétiens sont pareils à des naufragés jetés sur une île déserte, sans prêtre parmi eux. Il n’y a plus d’eucharistie, plus de pénitence, plus de saint chrême ; chose plus grave encore, il n’y a plus de mariage. Le prêtre seul a le droit de donner la bénédiction nuptiale ; plus de prêtres, plus d’époux.

Telle est la dernière conséquence du schisme, tel est recueil où viennent échouer les sans-prêtres : plus de mariage, partant plus de famille, plus de société. Par où réconcilier une telle doctrine avec le cœur de l’homme, avec l’ordre social, avec la morale elle-même ? Le mariage est la pierre d’achoppement des bezpopovisy, le nœud principal de leurs discussions et de leurs divisions ; sur ce point se voient parmi eux toute sorte d’aberrations, parfois corrigées par les plus bizarres compromis. Les plus pratiques conservent l’union de l’homme et de la femme comme une convention sociale ; les plus logiques érigent le célibat en obligation générale. Le profit n’en est point toujours pour l’ascétisme. Comme il est souvent arrivé dans l’histoire religieuse, la sensualité charnelle et le mysticisme contractent parfois, chez les sectaires russes, une monstrueuse alliance. On en a vu prêcher et pratiquer l’indépendance de l’amour, l’union libre des sexes, la communauté des femmes. On a vu, au fond du peuple russe, les plus grossières hérésies de l’antiquité et du gnosticisme se mêler aux plus romanesques et aux plus malsaines