Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/378

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l’avons vu, c’est lui qui depuis Pierre le Grand est assis sur le trône des tsars, et c’est son sanhédrin qui siège sous le nom de Saint-Synode. La différence, secondaire au point de vue théologique, est considérable au point de vue politique. Avec les sectes qui le regardent comme un égaré et un aveugle, l’État peut encore trouver une base d’entente, un modus vivendi ; avec celles qui le considèrent comme une incarnation diabolique, il n’y a ni paix ni trêve possible.

La croyance au règne de l’antéchrist devait, chez d’ignorants paysans, engendrer les aberrations les plus singulières. Le monde étant soumis à « Satan, fils de Belzébuth (Veeliévoulovitch) », tout contact avec lui était une souillure, toute soumission à ses lois une défaillance, une apostasie. Pour échapper à la contagion diabolique, le meilleur moyen était l’isolement, la claustration dans des retraites fermées, la fuite en des lieux inhabités. Au milieu du trouble et de l’épouvante des âmes, certains sectaires ne virent de refuge que dans la mort. Pour abréger le temps de l’épreuve et sortir de ce monde damné, on recourut systématiquement au meurtre, au suicide. Des fanatiques, surnommés les tueurs d’enfants (diétooubiitsy), se firent un devoir d’envoyer au ciel l’âme innocente des nouveau-nés, et de leur épargner ainsi les angoisses du règne infernal. D’autres, appelés étouffeurs ou assommeurs (douchilstchiki, tioukalstchiki), croient rendre service à leurs parents et à leurs amis en les préservant de mourir de mort naturelle et en hâtant leur fin lorsqu’ils sont gravement malades. Entendant à la lettre, avec un farouche réalisme, le verset de l’Évangile : « Le royaume de Dieu se prend par force, et c’est par violence qu’on le ravit » (Matthieu, xi, 12), ils prétendent que le ciel ne s’ouvre qu’à ceux qui périssent de mort violente.

Ces forcenés russes ne se doutaient pas que, à une quinzaine de siècles de distance, ils reproduisaient des fureurs africaines. Pareils aux circoncellions de l’Afrique, qui se