Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/381

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du Christ, elle leur montre le poêle où brûle son fils ; mais à peine sont-ils partis qu’elle pleure son enfant. « Regarde dans le poêle », lui ordonne Jésus pour la consoler. Elle regarde et, dans l’intérieur du poêle (un grand poêle de paysans semblable à une sorte de four), elle découvre un frais jardin où son fils se promène en chantant avec des anges. Jésus la quitte en lui recommandant d’enseigner aux fidèles à vouer aux flammes la chair innocente de leurs jeunes enfants. Ce barbare conseil, digne des adorateurs de Moloch, il se trouve des parents pour le suivre. Une paysanne qui avait ainsi offert à Dieu une petite fille disait : « J’ai imité la femme Alleluia ; réjouissons-nous, l’enfant est montée au royaume des cieux ». En 1870, un moujik essayait d’imiter le sacrifice d’Abraham ; il liait son fils, de sept ans, sur un banc et lui ouvrait le ventre, puis se mettait en prière devant les saintes images. « Me pardonnes-tu ? demandait-il à l’enfant expirant. — Je te pardonne, et Dieu aussi », répondait la victime, dressée au sacrifice[1].


Une folie en engendre une autre ; la croyance que l’Antéchrist a déjà paru mène à la croyance au prochain renouvellement de la terre, à la seconde venue du Christ et au règne de mille ans. Le millénarisme et le messianisme ont ainsi envahi les sectes extrêmes de la bezpopovstchitie, qui, par là, donne la main à des sectes gnostiques de différente origine. Comme beaucoup des premières hérésies du christianisme, le réalisme russe interprète d’une façon toute matérielle les prophètes et l’Apocalypse. Le moujik attend l’établissement d’un royaume temporel du Christ et escompte d’avance l’empire promis à ses saints.

  1. Voyez en particulier les études de M. Prougavine (Rousskaïa Myst, janv.-juillet 1885). Il vient parfois devant les tribunaux des affaires de ce genre. Ainsi le tribunal d’Odessa a jugé, en une seule année (1879), une affaire de flagellation de soi-même (samobitchevanié) et de crucifiement (raspiatié), une affaire de suicide par le feu (samosoggénié) et une affaire de mutilation « par piété ».