Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/397

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tion d’effacer ou de redresser les aberrations religieuses des classes populaires.

Tout dédaigné qu’il fut, le raskol possédait deux éléments de puissance souvent liés ensemble, la moralité et la richesse. « Ces raskolniks, entend-on répéter presque partout, sont les hommes les plus sobres, les plus économes, les plus honnêtes. » Quand un propriétaire vous mène dans une cabane de paysan propre et bien tenue, si on lui demande ce que sont les habitants, il vous répond le plus souvent : « Ce sont des raskolniks, des vieux-croyants ». Quand vous demandez à un chef d’industrie quels sont ses meilleurs ouvriers, à un commerçant quels sont ses meilleurs employés, il n’est pas rare de lui entendre dire : « Ce sont des dissidents, des starovères ». À la foire de Nijni-Novgorod, qui, pour nombre de marchands russes, n’est qu’un rendez-vous de plaisir, les vieux-ritualistes se distinguent par leur retenue et leur respect des bienséances. Ils laissent d’habitude aux adhérents de l’Église officielle les brutales orgies dont le champ de foire donne chaque nuit le cynique spectacle. Ces qualités d’ordre et d’économie, ils les montrent vis-à-vis de l’État qui les a persécutés. « Les vieux-croyants, me disait un gouverneur de province, sont les contribuables qui s’acquittent le plus régulièrement. » Dans ce pays, où tant de communes sont en retard pour le payement des impôts, il est rare que les villages de raskolniks aient de l’arriéré. C’est là un fait connu ; aussi, d’un bout à l’autre de l’empire, les starovères jouissent-ils de l’estime des collecteurs de taxes. Les paysans orthodoxes, qui comparent la prospérité des vieux-ritualistes avec leur propre misère, sont souvent tentés d’y voir un signe de la supériorité de « la vieille foi ».

Ces avantages moraux tiennent, en partie, aux préjugés des dissidents, et s’affaiblissent peu à peu avec ces préjugés. La répulsion de beaucoup d’entre eux pour certains plaisirs, pour certains aliments, les préserve de tel ou tel vice, de tel ou tel défaut, de même que les prescriptions