Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/406

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religion sur la Bible, sur le livre. Le lien avec l’autorité, avec l’antique gardienne des saints usages une fois rompu, le raskolnik dut chercher dans les vieux missels, dans les vieux manuscrits, les traces de ces traditions dont il reprochait à l’Église l’abandon. Le manque de hiérarchie régulière chez les popovtsy, la suppression de toute hiérarchie chez les sans-prêtres obligea presque également les deux branches du schisme à se rejeter sur l’Écriture sainte. Privés de sacerdoce, privés d’intermédiaire officiel entre l’homme et Dieu, les dissidents retombèrent directement sur la parole de Dieu. Il faut aussi tenir compte de ce fait, qu’en agitant l’intelligence, l’esprit de secte remue la pensée ; qu’en développant le goût de la discussion, il développe le goût des libres recherches et les habitudes d’examen. Le raskol n’a pu échapper à cette influence ; dans de noires izbas, à la lueur tremblante de la loutchine faite d’un éclat de sapin, on a vu de pauvres paysans chercher dans quelques pages de l’Écriture la révélation religieuse qu’ils ne recevaient plus toute faite de l’Église. Ici reparaissent tous les désavantages du raskol vis-à-vis du protestantisme occidental. Au lieu des Pères et des grands écrivains de l’antiquité, le schisme russe n’avait, pour tout aliment, que quelques lourdes compilations byzantines, quelques nuageux apocryphes.

À cette infériorité, qui tenait à l’infériorité même de l’ancienne Russie, le raskol en ajoute une autre qui tient à son propre principe. Les vieux-croyants savent lire, mais ils ne lisent que des livres de dévotion, ils ne lisent que d’anciens livres. C’est ici surtout que se montre l’aveugle respect du raskol pour l’antiquité, et, de toutes les formes du culte du passé, le culte exclusif des vieux livres, des vieux auteurs, n’est pas le moins fatal au progrès. Les raskolniks ont un grand goût pour les ouvrages en langue slavonne écrits en lettres slaves avec des rubriques rouges ; ils aiment à en lire et à en écrire. À la foire de Nijni-Novgorod, où la librairie occupe toujours la dernière place, j’ai vu