Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/414

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abattus par l’orthodoxie officielle. Des religieuses expulsées des monastères du Kerjenets en sont revenues garder les tombes délabrées, qui attirent des vieux-croyants de toutes les parties de l’empire.

Les skytes détruits se sont, du reste, reformés à peu de distance des ruines d’Olénief et de Komarof. Les nonnes chassées par Nicolas avaient sur leurs coreligionnaires le fascinant prestige du martyre. Plusieurs étendaient jusqu’aux orthodoxes leur mystérieux ascendant. Ainsi notamment la mère Esther, l’ancienne supérieure d’Olénief ; M. Bezobrazof l’a vue, à la fin du règne d’Alexandre II, tenant de sa main octogénaire la crosse d’abbesse[1]. Autour de la mère Esther et de ses anciennes religieuses s’étaient groupées des femmes et des jeunes filles qui, sous leur direction, vivaient en communauté. La petite ville de Séménof et ses environs comptent plusieurs de ces maisons ou « cellules » de vieux-croyants de diverses dénominations. On y enseigne aux enfants à lire et à travailler, en même temps qu’à prier selon les anciens rites. Les religieuses starovères ne restent pas cloîtrées derrière des grilles. Elles voyagent pour les affaires de leur communauté ; elles vont donner leurs soins aux malades, et surtout réciter des prières pour les morts dans les maisons de leurs riches coreligionnaires ; c’est là pour elles une source d’abondants revenus.

Il reste en Russie, spécialement dans le nord et dans l’est, un grand nombre de ces skytes ou de ces obitéli (couvents), sans existence légale. Il s’en fonde encore aujourd’hui, surtout pour les femmes. Ces maisons sont une des forces du schisme. Elles ont pour l’homme russe un double attrait ; en même temps que son idéal religieux, elles réalisent en quelque sorte son idéal terrestre ; jusque dans les cellules de leurs obitéli se retrouvent les préoc-

  1. Vlad. Bezobrazof : Études sur l’économie nationale de la Russie, t. II, p. 93 (1886). Cf. les récits d’A. Petchersky.