Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/443

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chez les vieux-croyants hiérarchiques, ces skytes ont été les principaux foyers, les principaux centres d’organisation du raskol. Beaucoup des sectes de la bezpopovstchine en ont tiré leurs doctrines et leur nom. C’est au nord-ouest, dans la région de l’Onéga, dans ces contrées presque polaires, si bien préparées pour le schisme par leur isolement, que se constitua, vers la fin du dix-septième siècle, la première grande communauté de sans-prêtres, celle qu’on pourrait regarder comme la mère des autres. Autour de quelques ermitages, bâtis sur les bords du Vyg, se groupèrent de nombreux dissidents avec leurs femmes et leurs enfants. Ainsi surgit, au fond des forêts, une sorte de république théocratique, qui trouva dans une des lumières du schisme, André Denissof, un intelligent législateur[1]. Pierre le Grand avait, dans un de ses voyages, été frappé de la vie industrieuse de ce libre mir de raskolniks ; ce grand adversaire du schisme fut le premier à leur accorder certains privilèges. Les doctrines des skytes du Vyg pénétrèrent dans tout le Pomorié, la contrée qui s’étend entre les grands lacs et la mer Blanche. Les adeptes de cette communauté en reçurent le nom de pomortsy ou riverains de la mer. Parmi les nombreuses sociétés filles ou rivales des riverains, il en est une que la richesse de ses membres et la rigidité de ses doctrines ont fini par placer à la tête des sans-prêtres ; ce sont les théodosiens (fédoséievtsy), ainsi nommés d’un sacristain (diatchok) mort en prison au commencement du dix-huitième siècle. Au lieu d’une Église centralisée et unitaire, la bezpopovstchine forma une sorte de confédération ayant à sa tête cette puissante communauté théodosienne.

Ce sont les théodosiens, alors dirigés par Kovyline, un de ces marchands russes unissant à un merveilleux degré

  1. Cet André Denissof et son frère Simon, aussi l’un des chefs du schisme, étaient des hommes cultivés et de haute naissance ; ils s’appelaient de leur nom princes Mychetsky. C’est là une exception qui ne se rencontre qu’au premier âge du raskol.