Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/454

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une ménagère ou, comme ils disent dans le jargon de la secte, une cuisinière, striapoukha, car c’est sous ce vocable tout pratique qu’un théodosien désigne la compagne qui lui tient lieu d’épouse. À en juger par ce nom, il semblerait que la femme a peu gagné aux doctrines des « sans-mariage ». On en pourrait dire autant des enfants, la grande difficulté de tout système de ce genre. Pour eux, les bezbratchniki n’ont rien trouvé de mieux que des maisons d’orphelins auxquelles les parents sont libres de confier leur progéniture. Aussi ne nous paraît-il point qu’ils aient résolu d’une manière satisfaisante le problème de l’union libre. En fait, ils vivent dans le concubinat, tout comme nombre d’ouvriers de nos villes d’Occident. Toute la différence, c’est qu’à travers les aberrations de l’esprit de secte, la plupart de ces « sans-mariage » ayant gardé une foi religieuse et une morale positive, ces unions révocables ont chez eux, sinon plus de garanties, du moins plus de décence, plus de chances de paix et de durée. Si l’utopie de la famille libre, sans lien légal, pouvait impunément entrer dans les mœurs, ce serait encore à couvert de la religion. Au foyer d’un croyant il reste Dieu, le témoin invisible, pour protéger la femme et l’enfant.

Sur cette question de la vie conjugale et de la famille, comme sur celle du règne de l’Antéchrist et de la soumission à l’État, la bezpopovstchine s’est adoucie et comme apprivoisée. Ses écarts lui sont communs avec des gens qui ne tiennent en rien à la vieille foi. Le sans-prêtre moderne répudie les farouches doctrines de ses prédécesseurs ; il en conteste l’authenticité ou l’interprétation, il recourt au besoin à la presse ou à la justice pour repousser ce qu’il appelle les calomnies de ses adversaires. Ce ne sont plus aujourd’hui les chefs du schisme qui proclament ces maximes attentatoires à la morale, ce sont ses ennemis qui vont les déterrer dans les livres ou les manuscrits des docteurs de la secte pour s’en servir contre elle. Que leurs adversaires théologiques reprochent aux sans-