Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/484

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nage de la capitale ; les paysans russes de l’intérieur n’ont fait que se l’approprier. Les sauteurs ont été signalés, pour la première fois, sous le règne d’Alexandre Ier ; c’était une variété de khlysty ; ils n’en différaient guère que par le mode de leurs mouvements.

Au lieu de tourner en rond, les skakouny sautaient : d’où leur nom de sauteurs. Eux aussi se réunissaient de nuit et en secret, l’hiver, dans une cabane écartée, l’été, au fond des bois. Le chef de la communauté entonnait un cantique d’une voix lente ; il pressait peu à peu la mesure, accélérant toujours le rythme. Tout à coup il commençait à sauter, et les assistants l’imitaient en chantant. Les sauts et les chants devenaient de plus en plus rapides ; l’enthousiasme s’exprimait par des cris de plus en plus forts et des bonds de plus en plus hauts. L’heure des révélations arrivait au milieu de ces transports. Le trait particulier de ce singulier office, c’est qu’il s’accomplissait par couples d’hommes et de femmes, qui d’ordinaire s’étaient d’avance engagés pour la danse sacrée. Dans les réunions des skakouny des environs de Pétersbourg, lorsque l’exaltation était à son comble, l’officiant déclarait qu’il entendait la voix des anges. Les sauts s’arrêtaient, les lumières s’éteignaient, les couples se livraient dans les ténèbres aux douceurs de l’« amour en Christ ». Dans ces assemblées, tous les sentiments, tous les appétits, passaient pour inspirés, et leur satisfaction pour légitime. L’inceste n’était point regardé comme un péché, tous les fidèles, au dire des sectaires, étant frères en Christ. À leurs yeux, l’amour ayant un principe surnaturel, c’était un acte de religion que d’y obéir. Aussi regardaient-ils le mariage comme une impiété, et ne se laissaient-ils marier qu’afin de se dissimuler. Pour justifier leurs maximes, ils alléguaient les plus scabreuses histoires de la Bible, les filles de Loth, le harem de Salomon. À côté de ces pratiques immondes, les sectaires russes ou finnois des environs de Pétersbourg avaient des rites repoussants et abjects. Telle la commu-