Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/488

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tour de rôle, lui rendre une sorte de culte obscène, lui baisant les pieds, les mains, les seins, en se courbant devant elle avec force signes de croix. Ils l’appelaient souveraine reine du ciel, et la priaient de les juger dignes de communier de son corps très pur, lorsque, par le Saint-Esprit, naîtrait d’elle un petit christ (khristosik). Quand, à la suite des radéniia qu’elle était la première à danser, la goroditsa devenait enceinte, son enfant, si c’était une fille, devenait plus tard, à son tour, une sainte vierge. Si c’était un fils, un khristosik, il était immolé le huitième jour après sa naissance. À en croire certains récits, on lui perçait le cœur avec une lance analogue à la lance liturgique en usage dans l’Église orientale pour couper le pain consacré. Le sang et le cœur de ce petit christ, mêlés à du miel et à de la farine, servaient à la confection des gâteaux eucharistiques. C’était ce qui s’appelait communier du sang de l’agneau ; car cette cène hideuse s’inspirait d’un sombre réalisme. À ces prétendus mystiques il fallait, pour la communion, un vrai corps, un vrai sang. Quelques-uns communiaient, assure-t-on, avec le sang chaud de leur petit Jésus, et faisaient dessécher la chair pour la réduire en poudre et en préparer leurs kalatchi ou gâteaux de communion. D’autres fois, c’était une jeune fille, une « sainte vierge », vivante et volontaire victime, dont le sein gauche, enlevé au milieu des danses et des chants, servait de nourriture eucharistique[1].

Ont-ils jamais été autre chose que des monstruosités isolées, de pareils rites ne pouvaient se célébrer que de loin en loin en des contrées écartées. Ils ont toujours dû être plus rares dans la Russie moderne que, en Amérique, le sanglant vaudoux africain, le sacrifice du « bouc sans cornes » encore en usage chez les noirs de Haïti. En Russie on est d’autant plus porté à se défier des récits de ce genre

  1. Mgr Philarèle, Istoriia Rousskoï tserkvi, Ve période, III ; Haxthaasen, Studien, t. I, ch. xiii, p. 345 ; Livanof, Raskolniki i Ostrojniki, t. II, p. 276 ; Réoutsky, Lioudi Bojii i Skoptsy, p. 35.