Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/505

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Pour n’être pas inquiétés, quelques skoptsy ont émigré à l’étranger, en Roumanie notamment, où ils sont confondus avec les vieux-croyants, sous le nom de lipovanes[1]. Aucune mesure n’a encore pu arrêter la propagation de la secte. En 1871, dans le procès des frères Koudrine, un expert, M. Bélaïef, professeur à l’académie ecclésiastique de Moscou, affirmait que, loin d’être en diminution, le nombre des mutilés était en accroissement. Malgré tout, une doctrine qui a un pareil baptême ne saurait compter sur des millions d’adeptes. On n’estime guère leur nombre qu’à deux ou trois milliers.

La loi est justement rigoureuse pour les adhérents du faux Pierre III : tout eunuque est obligé d’avoir cette qualité inscrite sur son passeport, et demeure placé sous la surveillance de la police. Toute personne logeant ou employant des skoptsy est tenue d’en prévenir l’autorité. Une fois arrêté, un skopets échappe avec peine à la prison ou à la déportation ; mais l’argent étouffe bien des affaires de ce genre. Tandis que des eunuques sont poursuivis aux quatre coins de l’empire, on en voit se promener, au grand jour, dans les « perspectives » de la capitale. À la Bourse de Pétersbourg il y avait naguère un banc appelé banc des skoptsy. On a vu, il est vrai, des oukazes déclarer officiellement que tel riche marchand connu pour eunuque avait été mutilé, malgré lui, dans sa jeunesse, et n’appartenait point aux disciples de Selivanof. Le mode de propagande des blanches-colombes, leur prosélytisme parmi les enfants ne permettent guère de punir que les apôtres ou les opérateurs de la secte. Aujourd’hui surtout que ces

    de mutilation isolée. En 1879, par exemple, le tribunal d’Odessa jugeait une affaire de « lésion des parties génitales par piété » (is revnosti). Tout récemment, en 1887, un déporté du nom de Tchegol, se trouvant à l’étape de Kouskounsk, dans le gouvernement d’Iéniséisk ; profitait de la nuit pour se châtrer avec quatre enfants.

  1. 1Ce nom, parfois appliqué à tort aux eunuques, n’est qu’une abréviation du nom de philippovtsy, donné par extension aux sectaires russes établis en Roumanie. La plupart ne sont pas eunuques ; les naissances égalent chez eux les décès. Voyez Aurelianu, Tera nostra, 1878.