Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/516

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molokane, d’après saint Paul (II Corinthiens, iii, 17), et où est l’Esprit du Seigneur est la liberté. » Le vrai chrétien doit être libre de toutes les lois et obligations humaines. Les autorités terrestres ont beau avoir été établies par Dieu, elles ne l’ont été que pour les fils du siècle, car le Seigneur a dit des chrétiens : « Ils ne sont pas du monde, comme je ne suis pas du monde » (Saint Jean, xvii, 14). Les lois des hommes ne sont point faites pour les justes ; au lieu d’obéir à ces lois changeantes, le vrai chrétien doit obéir à la loi éternelle écrite par Dieu sur la table de notre cœur.

Les molokanes arrivaient ainsi au mépris des autorités et de la loi positive. Leur radicalisme théologique aboutissait, l’Ëcriture en main, au radicalisme politique. Comme les quakers et les frères moraves, avec lesquels ils ont plus d’un trait de ressemblance, molokanes et doukhohortses ont une religieuse répugnance pour le serment et pour la guerre, prenant à la lettre les passages de l’Évangile qui défendent de jurer et de tirer l’épée. Bien plus, certains d’entre eux se sont refusés au payement des impôts, aussi bien qu’au service militaire. Le Christ a bien dit : « Rendez à César ce qui est à César » ; mais les chrétiens spirituels, qui n’appartiennent qu’à Dieu, ne doivent rien à César.

D’accord avec ces maximes, plusieurs ont essayé de se soustraire aux impôts aussi bien qu’au recrutement ; mais leurs résistances ont été sévèrement réprimées par Nicolas. Beaucoup ont été knoutés et déportés ; d’autres, selon une méthode plus d’une fois adoptée par l’autocratie, furent enfermés comme aliénés dans des maisons de fous. Depuis lors les buveurs de lait ont dû se plier à la loi commune. Comme l’extrême-gauche du raskol, il leur a fallu en venir à des compromis. C’est ainsi que les molokanes du Don admettent qu’on peut être soldat et se battre pour la défense de la patrie. D’autres ont montré une telle obstination à ne pas porter les armes que le gouvernement a dû ne les employer que dans les ambulances et les ser-