Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/53

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d’un schisme et de nombreuses sectes, tient en partie au caractère national respectueux de toutes les formes, dans les choses profanes comme dans les choses sacrées ; il tient aussi à la conception religieuse du peuple. Pour lui, le rituel et les paroles sacrées ont par eux-mêmes une vertu mystérieuse, on pourrait presque dire une vertu magique ; les changer, c’est leur faire perdre cette vertu. Ainsi s’expliquent, par exemple, les longues controverses sur l’orthographe du nom de Jésus ou sur le signe de croix, dont, aujourd’hui encore, les Russes de toutes classes font un tel usage. Si la manière de se signer a coupé l’ancienne Moscovie et, après elle, la Russie contemporaine, en deux partis ennemis, c’est que, pour la masse du peuple, le signe de croix n’était pas seulement une sorte de mémento du Crucifié et de profession de foi du christianisme, mais une espèce de signe magique, un préservatif contre le mauvais œil et contre les dangers du corps et de l’âme.

Si grossière que semble une pareil le religion, c’est encore là (nous devons le répéter) de la religion ; c’est encore là du christianisme ; et un christianisme qui, en réalité, ne vaut peut-être pas beaucoup moins que celui de plusieurs peuples des deux mondes. En Occident même, si notre façon d’entendre la foi du Christ est généralement supérieure, elle ne l’a pas toujours été. Dans la dévotion du moujik, bien des pratiques que protestants et catholiques lui reprochent comme d’indignes superstitions, ne sont que des restes d’un âge ailleurs évanoui, et, si l’on peut ainsi parler, des traits d’archaïsme religieux.

À côté des sorciers suspects de relations avec le Malin, il se rencontre, par exemple, des hommes ou des femmes faisant profession de piété que la crédulité populaire érige en une espèce de devins chrétiens. Ainsi parfois de dévotes appelées sviatochi, ou de pèlerins revenus de Terre Sainte, qui se plaisent à expliquer aux simples les phénomènes de la nature avec les mystères des Écritures. Le peuple des campagnes recherche les oracles de ces voyants