Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/536

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refuse de s’acquitter au nom d’une prétendue révélation, mettant en avant la religion et le ciel là où nos révolutionnaires se retrancheraient derrière le droit naturel. Cette forme de résistance aux taxes s’est maintes fois reproduite au Nord et au Sud ; elle donne lieu à de singuliers débats. « Pourquoi ne pas payer l’impôt ? demandait un fonctionnaire à des paysans du Don. — Parce que la fin du monde est arrivée. — Qui vous a fait cette histoire ? — C’est une nouvelle apportée du septième ciel. — Par qui cela ? — Par saint Jean-Baptiste et sainte Barbe. » Et l’interrogatoire continuait sur ce ton jusqu’à la découverte et à l’emprisonnement du faux Jean-Baptiste. Dans un district de l’Oural, les mêmes refus s’appuyaient, il y a quelques années, sur l’apparition d’un homme avec un livre d’or qu’aucun des sectaires n’avait vu et auquel tous croyaient. On conçoit l’embarras de la police et des juges devant des résistances ainsi formulées ; il n’y a d’autre remède que d’arrêter les propagateurs des célestes nouvelles. Ces exemples montrent que les erreurs religieuses recouvrent souvent, chez le Russe, des soucis temporels : ce n’est pas toujours vers le paradis invisible que se tournent les espérances de ces naïves hérésies. Les mystiques chimères du moujik ont parfois une singulière ressemblance avec les utopies révolutionnaires de l’ouvrier athée des bords de la Seine ou de la Sprée : la méthode diffère, le point d’arrivée est le même.

La plupart des sectes découvertes dans les vingt ou trente dernières années sont radicales. Presque toutes rejettent le sacerdoce et les rites de l’Église ; elles se partagent entre les deux tendances que nous avons signalées. Khlysty et molokanes ont, en même temps, des émules ou des continuateurs ; mais, entre les deux groupes, l’ancienne proportion est renversée. Le mysticisme à demi gnostique ne produit plus que de faibles et obscurs rejetons. En 1870, dans les villes de Troïtsa et de Zlotooust, ce sont les pliasouny ou danseurs, sorte de khlysty fréquentant ostensible-