Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/571

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officielles. La question, il faut l’avouer, était délicate. Jusque-là, le clergé détenait seul les registres des naissances et des décès, et, la loi n’admettant que le mariage religieux, les dissidents étaient condamnés à ne contracter que des unions clandestines, à ne donner jour qu’à des enfants illégitimes. Les raskolniks se trouvaient dans la cruelle position où l’ancien régime avait, depuis Louis XIV, réduit les protestants français. Le législateur, qui reprochait justement à certains sectaires de repousser le mariage, leur en fermait lui-même l’accès. Des villages entiers demeuraient des années sans qu’on y enregistrât ni mariage, ni naissance. Les paysans se contentaient d’adopter des enfants trouvés que leur apportaient des femmes qui faisaient profession de recueillir des orphelins. En réalité, c’étaient leurs propres enfants que les sagesfemmes leur rapportaient, après les avoir fait secrètement baptiser selon les rites du raskol. La moralité du pays était officiellement ravalée aux yeux de l’Europe par la fiction légale qui comptait comme enfants naturels les enfants des raskolniks.

Comment sortir d’une pareille situation ? Il se présentait deux issues, qui semblaient presque aussi impraticables l’une que l’autre : reconnaître les formes de mariage en usage chez les communautés dissidentes, ou instituer pour les dissidents un mariage civil. À la première solution s’opposaient l’intérêt de l’Église, le recrutement subreptice du clergé des popovtsy, les pratiques de la bezpopovstchine, dont beaucoup de sectes n’admettent ni clergé ni mariage. Contre l’institution du mariage civil s’élevaient non seulement les maximes de l’Église et les habitudes du peuple, mais les préventions mêmes des dissidents, pour la plupart d’accord, sur ce point, avec leurs adversaires. On se trouvait devant ce problème : instituer un acte civil du mariage sans mariage civil et indépendamment de tout mariage religieux.

Le législateur crut tout concilier en ouvrant, pour les