Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/58

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paraît en être toujours au moyen âge, au quinzième ou au quatorzième siècle, l’autre en est fréquemment restée au dix-huitième siècle, à l’incrédulité frivole ou au naïf philosophisme antérieur à la Révolution. Dans les salons de Pétersbourg, un Mesmer, un Saint-Martin, un Cagliostro, tous les rêveurs ou les faiseurs de la fin du dix-huitième siècle, auraient bien des chances de rencontrer le même accueil que chez les contemporains de Catherine II. Pour être plus ou moins sceptique et n’accorder qu’une foi limitée aux dogmes d’aucune Église, alors même qu’il en observe décemment les rites, le beau monde n’a pas toujours renoncé à tout commerce avec le surnaturel. Si nombre d’hommes et de femmes croient de leur dignité d’êtres cultivés de se confiner dans la sphère des réalités scientifiques, bien peu se résignent à ne pas dépasser les étroites frontières des connaissances positives et savent s’arrêter aux bords obscurs de l’incognoscible. Parmi les contempteurs les plus décidés des chimères métaphysiques et des illusions religieuses, plus d’un se donne carrière dans les utopies du millénarisme humanitaire. D’autres en reviennent, comme leurs arrière-grands-pères, à une sorte de théosophie ou d’illuminisme nébuleux. L’obsession de l’inconnu, le goût toujours renaissant du merveilleux, avec cette sorte de mysticisme inconscient qui travaille l’homme russe, apparaissent sous les formes les plus diverses jusque dans les classes instruites. Tel qui, pour scruter la nuit des destinées humaines, méprise les lointaines clartés de la religion et le demi-jour de la foi, recourt volontiers aux troubles lueurs des visionnaires et des magnétiseurs. À défaut du christianisme, on fait appel au spiritisme.

Pétersbourg est une des villes où le « médiumisme », comme on disait aux bords de la Neva, a excité le plus d’engouement. Il n’y a certes là rien de singulier ; ne faut-il pas partout, en pareil cas, faire la part de la vogue, du besoiu de nouveauté et de distraction ? Ce que je n’ai guère vu qu’en Russie, c’est, dans le monde scientifique, des