Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/584

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reille désignation que, historiquement, elle semble plus fondée. Les cultes hétérodoxes ne se rencontrent que dans les provinces d’origine étrangère, ou demeurées longtemps sous la domination de l’étranger. Du Nord au Sud, ils forment, aux flancs de la Russie orthodoxe, deux bandes d’une largeur variable, le plus souvent en concordance avec les limites ethnographiques. Du golfe de Bothnie à la frontière autrichienne, ce sont des protestants, des catholiques, des juifs ; à l’Est, le long de l’Oural, du Volga et du Caucase, ce sont des musulmans mêlés de quelques païens. Les cultes dissidents comptent dans l’empire près de 35 millions d’adhérents, dont plus de 20 millions en Europe[1]. Chacune de ces religions étrangères a une région où elle domine : le protestantisme en Finlande et dans les provinces baltiques, le catholicisme en Pologne et en Lithuanie, l’islamisme dans plusieurs districts de l’Oural, de la Crimée, du Caucase. Est-il besoin de montrer ce qu’a d’embarrassant, pour un gouvernement, cette répartition territoriale qui lie chaque culte à une province, à une race, souvent à une langue ? L’Irlande et l’Angleterre offrent, à cet égard, un contraste moins marqué que la Russie et plusieurs de ses annexes. Pour les Russes, catholique est synonyme de Polonais, et protestant, d’Allemand. C’est à ces préventions nationales que tient l’attitude de la Russie devant les confessions non orthodoxes. Elle les regarde comme le véhicule de nationalités étrangères, elle redoute de les voir dénationaliser des provinces que, au nom de l’histoire, elle revendique comme russes. De même que l’islam, dans les gouvernements de l’Est, est, pour elle, un témoin de la domination tatare, le catholicisme et le protestantisme, dans la Russie-Blanche, la Lithuanie, les provinces baltiques, sont, à ses yeux, une importation polo-

  1. Pour la religion, pas plus que pour la nationalité, on ne saurait s’en rapporter entièrement aux statistiques russes ; car, ainsi que nous le verrons, les statistiques officielles comptent comme orthodoxes nombre de chrétiens et même de musulmans qui se défendent de l’être.