Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/591

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beaucoup même ne sont chrétiens que de nom. Ils sont moins les adeptes que les prisonniers de l’Église. Pour un grand nombre, l’orthodoxie n’est qu’une sorte de servage sanctionné par la loi : comme jadis les paysans à la glèbe, ils sont fixés à l’Église, krépostnye, comme on dit en russe, et cette fois c’est bien le servage des âmes (douchi). Parmi les convertis dénombrés, depuis un siècle, dans les rapports officiels, il en est des milliers dont, après deux ou trois générations, les descendants s’obstinent encore à pratiquer le culte de leurs pères. De l’aveu des missionnaires et du haut-procureur, les prosélytes sont souvent plus difficiles à retenir dans l’Église qu’à y faire entrer. Parmi ses conquêtes sur la Réforme, sur Rome, sur la Synagogue, sur Mahomet, sur le Bouddha, l’abandon secret ou public de la foi impériale est fréquent. Les nouveaux venus à l’orthodoxie se trouvent dans la situation des raskolniks que la loi enchaîne à l’Église. De là, de faux orthodoxes, de faux chrétiens et de mauvais Russes. Le prosélytisme officiel est pour le culte national un principe de corruption. L’hypocrisie est fomentée par la loi, et le sacrilège est enjoint par le code pénal, sous peine d’amende ou de prison. De même que le raskolnik, les faux orthodoxes achètent la connivence du pope ou le silence de l’ispravnik. Le privilège légal de l’Église aboutit à la démoralisation du clergé et du peuple. En semant l’orthodoxie, l’apostolat officiel ne fait souvent germer que l’incrédulité. La politique n’y gagne pas toujours plus que la religion. Le bénéfice des conversions suspectes est compensé par les rancunes soulevées contre la Russie parmi ses sujets dissidents et leurs coreligionnaires étrangers.

En mainte région, grattez l’orthodoxe et vous retrouverez le païen ou le musulman. Des Tatars de Kazan, chrétiens depuis plusieurs générations, ont pétitionné pour être autorisés à retournera l’islam. À cela quoi d’étonnant ? nombre de musulmans ou d’idolâtres, Tatars, Tchouvaches, Kalmouks, Bouriates, allogènes Finno-Turcs ou Mongols