Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Russie. Il y a là, en petit, un problème analogue à celui soulevé à Rome par la chute du pouvoir temporel des papes. Le gouvernement russe l’a tranché à son profit. Il a réglé la situation du catholicos par les statuts de 1836, sorte de loi des garanties que les arméniens sont contraints de subir en fait, tout en la contestant en droit[1]. D’après la tradition, le catholicos doit être élu par les députés de tous les diocèses arméniens du monde. Le gouvernement impérial préside à l’élection et il ne s’est pas contenté de réglementer à sa guise les votes des diocèses, admettant les uns, annulant les autres. Au lieu de faire proclamer, conformément aux canons, le prélat qui a obtenu le plus grand nombre de voix, le tsar s’est arrogé le droit de substituer à l’élu de la majorité le prélat qui réunit ensuite le plus grand nombre de suffrages. Les polojéniia considèrent l’élection des diocèses comme une simple présentation de candidats, entre lesquels l’empereur se réserve de désigner le catholicos. Qu’on imagine le roi d’Italie choisissant le pape entre les deux cardinaux auxquels le conclave a donné le plus de voix. Avec ce système, la Russie est assurée d’avoir sur le siège d’Elchmiadzin un pontife à sa dévotion. Nicolas Ier et Alexandre II avaient toujours accepté l’élu de la majorité. Alexandre III a rompu avec cet usage en 1885 ; il a donné la chaire d’Elchmiadzin au candidat de la minorité. Le catholicos est, ainsi, devenu un dignitaire russe à la nomination du tsar. Les arméniens non russes, qui sont les plus nombreux, ont eu beau protester contre les statuts de 1836 et l’élection de 1885, force leur a été de s’y résigner. Pour s’y soustraire, il leur eût fallu nommer un anticalholicos ; ils ont reculé devant un schisme qui déchirerait l’unité de leur Église.

Le mode d’élection du pontife suprême n’est pas la seule altération apportée par la Russie à la constitution de l’Église arménienne. À côté du catholicos, on a placé, à la

  1. Ces statuts (pohjeniia) sont ce que les arméniens de Turquie appellent par corruption le balagénia russe.