Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/604

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De même, Alexandre II avait toléré le retour au luthéranisme de milliers de paysans attirés, sous son père, à l’orthodoxie par de fallacieuses promesses. Ici, encore, Alexandre III a enjoint l’application stricte de la loi. Le général Zinovief, gouverneur de la Livonie, rappelait à ses administrés, en 1887, que les personnes inscrites comme orthodoxes qui laissent leurs enfants suivre le culte luthérien sont passibles de la prison et risquent, « en vertu des articles 158 et 190 du code pénal, de se voir enlever leurs enfants, dont l’éducation peut être confiée à des tiers ». Quant au pasteur coupable d’admettre aux sacrements de ces orthodoxes, il s’expose aux plus graves châtiments. C’est ce que M. Pobédonostsef, dans sa lettre à M. Naville, appelle entraver le rapprochement spirituel des indigènes avec la mère patrie. Pour ce « crime » nombre de pasteurs ont été révoqués, emprisonnés, déportés. Catholique ou protestant, les clergés hétérodoxes doivent oublier la parabole évangélique, et se garder de courir après la brebis arrachée à leur bercail.

Que la Russie cherche à conquérir moralement les conquêtes de Pierre Ier et de Catherine II, les revendications du germanisme sur d’autres frontières semblent l’y inviter ; mais il est permis de mettre en doute la valeur de son système de russification. Elle semble poursuivre une assimilation extérieure, matérielle ; elle se soucie peu de froisser les sentiments, les mœurs, la conscience de ses sujets d’origine étrangère. Ce n’est point par de tels procédés que la France avait gagné le cœur des Alsaciens, des protestants aussi bien que des catholiques. La politique de russification à outrance risque de tourner contre son but et d’affaiblir, à force de les tendre, les liens qu’elle prétend resserrer. Jusqu’à présent, il y avait dans les provinces baltiques des tendances particularistes ; il n’y avait pas de parti séparatiste. S’il s’en formait un, M. Pobédonostsef en aurait été un des promoteurs[1].

  1. En dehors des luthériens et des calvinistes, la Russie compte plusieurs