Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/667

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chez elle ; le plus sage serait de le reconnaître et, ayant perdu le bénéfice de l’unité, de recueillir, pour l’intelligence nationale, pour l’État et pour la religion elle-même, le profit de la variété.

À la liberté, l’Église nationale gagnerait en profondeur plus qu’elle ne perdrait en superficie. Le nom de Russe et le titre d’orthodoxe sont trop liés par l’histoire pour qu’elle ait à redouter des désertions en masse du peuple ou de « l’intelligence ». Au prix de quelques défections, dont la plupart ne lui enlèveraient que des âmes qui ne lui appartiennent point, l’orthodoxie officielle se purifierait des souillures qui la déshonorent et se relèverait des abaissements qui l’avilissent. L’intérêt de l’orthodoxie et celui des autres cultes sont moins en opposition que ne l’imaginent les bureaucrates : la dignité de l’une ne saurait croître qu’avec l’émancipation des autres. Les différentes confessions sont, malgré elles, solidaires. L’Église d’État trouverait dans l’émulation et dans la lutte un aiguillon qui vaudrait pour elle tous les privilèges. C’est au temps où le protestantisme a été, chez nous, le plus libre que l’Église de France a jeté le plus vif éclat ; c’est à la révocation de l’édit de Nantes et à la destruction de Port-Royal qu’a commencé sa décadence. Un clergé qui garde ses ouailles emprisonnées dans les murailles de la loi a, pour les retenir au bercail, moins besoin de science et de vertu.

La plus grande infériorité de la Russie, celle qui est en quelque sorte le signe des autres, c’est le défaut de liberté religieuse. Il est plus choquant que le défaut de liberté politique, parce que la liberté religieuse est, à la fois, plus essentielle et plus facile à établir. De toutes les libertés dites « modernes », c’est la plus précieuse à l’individu, la moins redoutable à l’État ; c’est la seule peut-être qui n’ait pas donné de mécomptes, là du moins où elle n’a pas été dénaturée par le fanatisme à rebours d’inconséquents libres-penseurs. On comprend qu’un tsar investi par l’histoire d’un pouvoir omnipotent hésite à s’en dessaisir. Si