Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/179

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cour, le père du bourgmestre. Voici qu’un jour le plus jeune des fils, qui étudiait à Copenhague, revint à la maison. J’étais jeune, vive, toute fringante, mais j’étais honnête : cela je puis le dire à la face de Dieu. Le jeune étudiant était gai, de bonne humeur, gentil, un brave et charmant garçon. Il n’y avait pas une goutte de sang en lui qui ne fût honneur et loyauté. Il était le fils de la maison, et je n’étais que la servante ; mais nous nous aimions, en tout bien, tout honneur, car un simple baiser, ce n’est pas un péché, quand on s’aime autant que nous. Il en parla à sa mère : elle était pour lui comme le bon Dieu sur la terre. Et c’était, en effet, une mère pleine de sagesse et de tendresse.

« Il repartit pour Copenhague et me mit au doigt un anneau d’or. À peine se fut-il éloigné, que ma maîtresse me fit venir devant elle. Elle était sérieuse, mais aussi affectueuse ; ses paroles me semblaient venir du ciel même.

« Elle me fit comprendre toute la distance qu’il y avait entre lui et moi. Aujourd’hui, me dit-elle, il ne voit qu’une chose, c’est que tu es bien jolie. Mais la beauté se passe. Tu n’as pas reçu la même éducation que lui ; vous n’êtes pas égaux sous ce rapport, et c’est un malheur. J’estime et honore les pauvres, ajouta-t-elle ; aux yeux de Dieu, beaucoup d’entre eux occupent un rang plus élevé que les riches. Mais en ce monde il ne faut pas faire fausse route. Prenez garde de vous laisser entraîner tous deux et de préparer votre malheur en croyant assurer votre félicité. Je sais qu’un brave homme, un artisan, a demandé à t’épouser, je parle d’Eric le gantier. Il est veuf, mais sans enfants ; il est à son aise. Réfléchis bien à tout ce que je te dis là. »

« Chaque parole de ma maîtresse me traversait l’âme