Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/22

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cour, et de voir les effets de lumière que le soleil en passant par l’étoffe produisait sur les feuilles.

« J’étais, comme vous voyez, un enfant bizarre et rêveur. Souvent je marchais, les yeux demi-clos, absorbé dans mes songes. À la fin l’on s’en aperçut et l’on supposa que j’avais la vue faible, tandis que je l’avais excellente.

« Pendant la moisson, ma mère m’emmenait parfois avec elle aux champs où nous glanions des épis, comme Ruth sur les terres du riche Booz. Un jour nous en ramassions dans un domaine dont le régisseur était connu pour un homme dur et colère. Tout à coup nous le voyons approcher, armé d’un terrible fouet. Ma mère et les autres glaneuses s’enfuirent. Je fis de même, mais en courant je perdis mes sabots, et restai pieds nus. Les éteules me piquèrent si fort qu’il me fut impossible d’avancer davantage. L’homme m’avait rattrapé ; déjà il levait son fouet ; je le regardai en face, et voici les paroles qui sortirent comme involontairement de ma bouche : « Comment oses-tu me frapper, puisque Dieu peut te voir ! » Cet homme brutal demeura saisi, son visage se radoucit tout à coup ; il me demanda mon nom et me donna une belle pièce d’argent. Lorsque je la montrai à ma mère, elle dit aux autres : « Quel singulier enfant que mon Hans Christian ! tout le monde lui veut du bien, même ce méchant qui lui a donné de l’argent. »

« Je grandissais, je devins pieux et même superstitieux. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être le besoin ; mes parents ne vivaient, il est vrai, qu’au jour le jour, mais moi du moins j’avais tout en abondance. Une vieille femme arrangeait à ma taille les vieux habits de mon père.

« J’accompagnais parfois mes parents au théâtre. Les pre-