Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à la porte de la ville. Ma grand’mère vint me voir, elle me regarda de ses yeux doux et dit qu’il serait à souhaiter que je mourusse maintenant, mais qu’il fallait pourtant s’en remettre à la volonté divine qui fait tout pour le mieux. Ce fut là le premier chagrin véritable que je ressentis.

« Le régiment n’alla pas plus loin que le Holstein ; la paix fut signée et mon père revint à son établi. Tout paraissait rentré dans l’ordre. Je continuais à m’amuser avec mes poupées ; je jouais avec elles des comédies, et cela toujours en allemand, parce que je n’avais vu encore que des pièces allemandes ; mais je ne comprenais pas cette langue ; mes pièces étaient donc dans un jargon de fantaisie où il n’y avait qu’un seul mot véritablement allemand ; je l’avais retenu d’une phrase que mon père disait souvent depuis qu’il avait été dans le Holstein. « Allons, disait-il en plaisantant, tu as du moins tiré quelque profit de mon voyage. Dieu sait si tu iras jamais aussi loin que je viens d’aller. C’est ton affaire, Hans Christian, pense à voir le monde. »

« Ma mère l’interrompit en déclarant qu’autant qu’elle avait son mot à dire je demeurerais à la maison et je n’irais pas compromettre ma santé comme il avait fait de la sienne. C’était, en effet, le cas. Un matin il se réveilla avec le délire. Il ne parlait que de batailles et de Napoléon. Il s’imaginait qu’il recevait des ordres de l’Empereur pour le commandement de son corps d’armée. Ma mère m’envoya aussitôt, non chez le médecin, mais chez une vieille femme considérée comme à moitié sorcière. Elle demeurait à une demi-lieue de la ville. Elle me fit toutes sortes de questions, mesura mes bras avec un fil de laine, fit plusieurs signes et gestes singuliers, puis finit par m’attacher sur la poitrine une branche verte, m’as-