Page:Andersen - Contes danois, trad. Grégoire et Moland, 1873.djvu/56

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les enfants de la maison et le bienfait accordé au nom de la science n’a rien d’humiliant pour eux. Cet usage remonte au moyen âge, où il était pratiqué dans toutes les villes universitaires.

« Je me trouvais alors affranchi de la dure discipline de l’école ; mon répétiteur était un jeune homme et avait un caractère original dans le genre du mien.

« Je faisais beaucoup de progrès ; mais en revanche je contractai un vilain défaut : c’était de me railler de mes propres sentiments, de ne plus admettre en ce monde que la froide raison. Je subissais l’influence du recteur qui s’était attaché à ridiculiser ma nature, si portée à l’émotion. Je me mis à parodier les vers que j’avais écrits naguère en pleurant. Toutes mes poésies de cette époque ont une tournure humoristique et sarcastique.

« Elles plurent à Heiberg, un de nos meilleurs auteurs, le même qui a transplanté en Danemark le vaudeville français ; il publia deux pièces de moi dans un recueil périodique, la Poste volante, mais sous le voile de l’anonyme.

« Le soir même où parut le recueil, je me trouvais dans une maison où l’on m’aimait assez, mais où l’on traitait mon talent de poète comme s’il n’eût point existé. Le facteur apporte la Poste volante. Le premier qui l’ouvre s’écrie : « Voilà deux excellentes pièces ; elles doivent être d’Heiberg ; aucun autre ne peut écrire avec autant d’esprit et d’humeur. » Et il lit mes vers, aux applaudissements de tous. Alors la fille de la maison, que j’avais mise dans le secret, leur dit que l’auteur c’était moi. Ils ne dirent pas un mot et furent de mauvaise humeur toute la soirée ; et moi je me sentis encore plus malheureux qu’eux.