Page:Andersen - Nouveaux Contes, trad. Soldi.djvu/104

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et l’année suivante, une poussée encore. Il eût voulu en faire dix.

— Oh ! que je voudrais donc être grand, soupirait-il ; j’étendrais mes branches au loin et de ma cime je dominerais le monde ! Les oiseaux construiraient leurs nids dans mon feuillage, et, lorsque le vent souffle, je saurais m’incliner avec autant de majesté et de grâce que mes orgueilleux camarades.

Ces mauvaises pensées le rendaient insensible à tout ce qui aurait dû le charmer.

Il ne se souciait plus ni des concerts joyeux des oiseaux qui chantaient dans les feuilles, ni des beaux nuages pourprés qui matin et soir flottaient au-dessus de lui, dans l’azur des cieux.

L’hiver arriva et avec lui la neige blanche et étincelante. Souvent un lièvre, poursuivi par les chasseurs, franchissait d’un saut le petit sapin, et cette familiarité blessait au vif son orgueil.

Après deux hivers, il avait grandi assez pour que les lièvres fussent obligés de passer sous ses branches. Ce progrès était trop lent à son gré.

Pousser, grandir et devenir vieux, c’est ce qu’il y a au monde de plus beau, pensait l’arbre.

En automne vinrent des bucherons qui abattirent quelques-uns des plus grands arbres ; tous les ans ils en firent autant. Le jeune sapin ne les voyait plus qu’avec terreur ; car les grands et magnifiques arbres tombaient avec fracas sous leurs cognées. On en coupait les branches, et ils avaient alors l’air si nus et si décharnés qu’on pouvait à peine les reconnaître. Puis on les chargeait sur une voiture, et les chevaux les