Page:Andersen - Nouveaux Contes, trad. Soldi.djvu/208

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chère. Bien souvent, il dépensait dans un seul repas le fruit de plusieurs journées de travail.

Un jour, notre savetier se promenait d’un air triste et inquiet sur les quais de la ville ; il se sentait un excellent appétit, et pas un sou dans sa poche.

— Quand je pense, dit-il, qu’il y a des gens assez heureux pour vivre sans rien faire ; qui n’ont d’autre occupation que de manger, boire et s’amuser, tandis que moi, en me fatiguant toute la journée, je gagne à peine de quoi subvenir aux premiers besoins de l’existence ! Et cependant, il me semble que j’en vaux bien un autre. Ne sommes-nous pas de chair et d’os tout aussi bien que le plus grand prince ? Je descends d’Adam et d’Ève, et, mieux que pas un, je saurais apprécier les jouissances de la vie.

Ce disant, il s’arrêta devant une belle statue de pierre représentant saint Népomucène. Le saint semblait lui sourire du haut de son piédestal, au bas duquel les passants manquaient rarement de s’agenouiller et de faire une courte prière.

— Ris, continua le savetier, en s’adressant à la statue, ris, tu n’as aucune raison pour pleurer ; tu n’as pas besoin de travailler pour vivre ; tu ne connais pas le froid et la misère ; la faim et la soif ne te tourmentent jamais. Ah ! je voudrais bien être à ta place.

Ô miracle ! À peine eut-il fini ce discours, qu’une voix solennelle, qui paraissait sortir de la bouche du saint, lui dit :

— Ton vœu sera exaucé, bientôt tu prendras ma place.

Frappé d’épouvante, le savetier se sauva comme s’il