Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, III.djvu/120

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de sentiment n’y a-t-il pas, pour affirmer l’unité ? C’est un sentiment si fortement hypnotisé dans sa certitude, qu’il est figé en intuition rationnelle[1].

Où se place au juste le système d’Anaxagore dans la série des anthropomorphismes, puisque c’est un système mixte ? Dans le monde phénoménal, qui se déplace d’un mouvement au moins apparent, Parménide n’avait pas pu dire d’où vient le mouvement. Nietzsche admire dans Anaxagore le créateur de l’hypothèse qui, par un mouvement giratoire unique, fait sortir du chaos éternel les corps célestes et les orbites des astres[2]. Cette rotation prodigieuse sépare les éléments mélangés, et accumule au centre du cyclone tournoyant tout ce qui est lourd, froid et sombre, pour rejeter à la périphérie. tout ce qui est ténu, chaud et lumineux. Des fragments de matière épaisse agglomérés au centre projettent dans la zone éthérée, par force centrifuge, des parcelles qui y deviennent incandescentes et qui, dès lors, éclairent et réchauffent la terre froide d’où elles sont issues. Quel rapport étroit cette conception n’a-t-elle pas avec la Théorie du Ciel d’un Kant ou d’un Laplace ? Nietzsche relève avec soin qu’un petit nombre d’inférences ont fourni à un philosophe les cadres où les sciences d’observation déposeront leurs faits de détail.

Il lui plaît surtout que la part de l’intervention divine soit réduite au minimum. Sans doute, l’origine du mouvement, le choc primitif, comme la chiquenaude initiale de Descartes, ne s’explique pas. Le Νοῦς prend des décisions toutes contingentes. Mais son impulsion donnée, les causes

  1. V. Karl Joël, Ibid., pp. 62, 63.
  2. M. Paul Tannery a démontré que l’hypothèse de Kant sur la matière se rapproche beaucoup aussi de celle d’Anaxagore sur les homéoméries. V. Pour l’histoire de la science hellène, 1887, p. 285.