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Protagoras et il a de lui, sinon le relativisme, du moins la dialectique, l’art de la contradiction subtile et précise. Nourri, au reste, d’Anaxagore, qu’il a fréquenté, et dont il a aimé le genre de vie ; d’Héraclite surtout et de Xénophane ; rempli de lectures orphiques et pythagoriciennes, c’est de tout cela qu’il fait une synthèse, non rationaliste, mais théologique, et où domine la croyance en une φύσις, c’est-à-dire une prédisposition morale et intellectuelle des individus[1].

Puis, pour définir l’héritage de poésie que recueillit Euripide, Wilamowitz aborde cette préhistoire de la tragédie, qu’il avait éludée en 1872. Son exposé est à beaucoup d’égards une palinodie. Welcker et avec lui, et en dépit de tout, Nietzsche, reprirent leurs droits, le premier nommément, l’autre de fait. L’idée que nous pouvons nous faire du dithyrambe est sortie renouvelée de ces études de Wilamowitz. L’étude de la poésie chorique en général en a beaucoup bénéficié. Mais le passage à la tragédie reste obscurci comme par un scrupule de donner trop raison à Nietzsche. Déjà les monuments figurés commentés par Dümmler et Maass permettent de saisir mieux le premier germe infime d’où la tragédie est sortie ; l’apparition de Dionysos Pélagios, venu d’au delà de la mer, le jour des morts. Wilamowitz déclare : Für das Drama lehrt es uns nichts[2]. Il y a là un excès de prudence critique.

La force de la théorie de Wilamowitz consiste à montrer, après Jules Girard, qu’il a dû exister deux dithyrambes, l’un populaire, l’autre grave. De ce dithyrambe grave qui n’a pu être qu’une lamentation funèbre,

  1. Ibid., p. 30.
  2. Ibid., p. 62. Pourtant Wilamowitz accorde (p. 63, note 27) que le dieu célébré par le dithyrambe est Dionysos Pélagios et que cela est attesté par le vase de Dümmler.