Page:Andreïev - Les Sept Pendus (Trad. Serge Persky), 1911.djvu/93

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pour les camarades qu’elle souffrait et se torturait. Elle ne se représentait la mort que parce que celle-ci menaçait Serge Golovine, Moussia et les autres ; elle avait oublié qu’elle aussi serait exécutée.

Comme pour se récompenser de la fermeté factice qu’elle avait montrée devant les juges, elle pleurait pendant des heures entières. Ainsi font les vieilles femmes qui ont beaucoup souffert. En pensant que Serge manquait peut-être de tabac, que Werner pouvait être privé de thé qu’il affectionnait — et ceci au moment où ils allaient mourir — elle souffrait autant qu’à l’idée du supplice. Le supplice, c’était quelque chose d’inévitable, d’accessoire même, qui ne valait pas la peine d’être pris en considération ; mais qu’un homme emprisonné manquât de tabac à la veille même de son exécution, c’était pour elle une idée insupportable.

Elle éprouvait pour Moussia une pitié particulière. Depuis longtemps, il lui semblait, à tort, que Moussia aimait Werner ; elle faisait pour eux des rêves splendides et lumi-