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LE GOUVERNEUR

— Il cherche lui-même sa fin.

Et ils continuaient leur besogne. Le lendemain matin, on entendait à l’autre extrémité de l’atelier :

— Il a encore passé hier.

— Eh bien, qu’est-ce que ça fait ?

On eût dit qu’ils comptaient les jours que le gouverneur dérobait à la mort. Par deux fois déjà, on avait eu soudain et presque simultanément, dans tous les coins de la « rue des Fossés » et dans les fabriques, la certitude qu’il venait d’être tué. Qui avait apporté cette nouvelle ? Il était impossible de le savoir ; mais les gens, s’assemblant par groupes, se transmettaient les détails ; on citait la rue, l’heure, le nombre des meurtriers, l’instrument ; il se trouvait presque des témoins, qui avaient entendu le fracas de la détonation. Tous étaient pâles et résolus ; ils n’exprimaient ni joie ni douleur ; une fois le bruit démenti, ils se séparaient tranquillement, sans déception, comme s’il ne valait pas la peine de se chagriner parce que l’affaire était remise de quelques jours, de quelques heures, peut-être de quelques minutes.