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LE GOUVERNEUR

— Si vous voulez vous conduire ainsi, si vous ne voulez pas vous disperser, je serai obligé d’employer la force. Reprenez le travail.

Alors ç’avait été un chaos de cris, de pleurs d’enfants, de détonations, la poussée, la fuite angoissante de la créature qui ne sait pas où elle court, qui tombe, se relève, perd ses enfants, ne sait plus retrouver sa demeure.

Et de nouveau, très vite, comme s’il ne se fût écoulé qu’une seconde, la tâche quotidienne s’était de nouveau imposée, le fourneau maudit, stupide, insatiable avait rouvert sa gueule. Et toutes les choses que les femmes avaient abandonnées à jamais revenaient à elles pour toujours.

Peut-être était-ce dans une tête féminine qu’était née l’idée que la mort du gouverneur était nécessaire. Aucun des vieux mots qui définissent les sentiments d’hostilité de l’homme pour l’homme, haine, fureur, mépris, n’exprimaient ce qu’éprouvait les femmes. C’était un sentiment nouveau, un sentiment de condamnation irrévocable ; si dans la main du bourreau la hache pouvait avoir conscience d’elle-même, elle éprou-