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LE GOUVERNEUR

Comme auparavant, le gouverneur était le centre de la vie de la maison, « Son Excellence a ordonné », « Son Excellence désire », « Son Excellence sera fâchée », toutes ces phrases résonnaient sains cesse. Mais si on eût mis à la place du gouverneur une poupée revêtue d’un uniforme, et capable de prononcer quelques paroles, personne n’aurait remarqué la substitution, tant Pierre Ilitch ressemblait à une forme vide. Quand il se fâchait et qu’il réprimandait quelqu’un, le coupable, quoique effrayé, avait l’impression que ce n’était qu’une comédie, les reproches comme la peur, et qu’en réalité rien de tout cela n’existait. Si, à cette époque-là^ le gouverneur avait tué quelqu’un, cette mort elle-même n’aurait pas paru réelle. Encore vivant pour lui-même, il était mort pour les autres, qui s’occupaient avec nonchalance d’un cadavre, sentant le froid et le vide, mais sans y attacher aucun sens. De jour en jour la pensée de la mort prochaine tuait l’homme. Puisant sa force dans son universalité, elle devenait plus puissante que les machines infernales, les canons et la poudre, elle dépouillait l’homme de sa volonté et aveuglait même