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NOUVELLES

loin que je remonte dans le passé de mes ancêtres, je n’y vois rien que des larmes, du désespoir, de la sauvagerie. Et tout cela s’est gravé dans l’âme et transmis de père en fils, de mère en fille, comme unique héritage ; si vous pouviez voir l’âme d’un véritable paysan ou d’un ouvrier, vous seriez effrayé. Avant d’être nés, nous avons déjà été mille fois insultés ; et quand nous arrivons à la vie, nous tombons du coup dans un terrier, où nous buvons l’outrage, où nous mangeons l’offense, et nous revêtons d’affronts. On raconte qu’il y a trois ans, vous avez fait fustiger des paysans : vous rendez-vous compte de ce que vous avez fait ? Vous pensez que vous avez mis seulement leurs reins à nu ; mais, en réalité, c’est leur âme millénaire et esclave que vous avez dévoilée ; vous avez fouetté de verges des morts et des êtres encore à naître. Et quoique vous soyez général, Monsieur, je vous le dis sans embarras, vous êtes indigné de toucher cette chair des lèvres ! Et vous l’avez fait fustiger ! Et quand les ouvriers sont venus à vous, c’étaient des esclaves ressuscités, ceux qui ont bâti les pyramides ; ils sont venus à vous avec