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EN ATTENDANT LE TRAIN

rent dans le néant, duquel ils m’avaient tiré un instant pour que ma tristesse fît mieux ressortir la sérénité de leur bonheur. De nouveau ils entamèrent une conversation animée au sujet des affaires, de l’étranger, de la faculté de médecine, des livres lus et de ceux qu’il fallait lire. Des plaisanteries familières se mêlaient à cette causerie, comme l’écume blanche au vin doré et fort. Le monde entier leur semblait une bagatelle, et chaque bagatelle, un monde. On devinait l’attention religieuse avec laquelle cette grande et belle fille saisissait comme autant de trésors les rares mots que laissait tomber son compagnon aux longs cheveux. Avec quel rire reconnaissant elle le remerciait pour une parole sage et spirituelle ! Cicéron aurait pu semer devant elle toutes les fleurs éclatantes de son éloquence immortelle ; Heine, faire briller pour elle les perles de son ironie mordante, et de sa tendresse mystique et passionnée ; Dante, pleurer et gémir à ses côtés ; enfin tous les grands cœurs et les grands esprits auraient pu déposer à ses pieds leurs offrandes, cette belle jeune fille n’eût même pas tourné la tête vers eux, mais elle buvait avidement chaque parole du