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EN ATTENDANT LE TRAIN

la petite, loin de vous, comptera de tristes et vides instants !

Les nuages se dispersèrent ; à l’occident, en face de la station, apparut une raie claire dans un ciel pur et transparent. Les silhouettes des arbres dressaient leurs formes noires et comme découpées dans du carton. L’air devint plus sec et plus frais. Dans une villa voisine on entendit les sons étouffés d’un piano, que des voix harmonieuses accompagnaient.

— Allons écouter, dit la jeune fille en se levant vivement, et elle tira par la manche le jeune homme qui se redressa lourdement.

Allons-y aussi et que le cœur glacé se dégèle tout à fait. On a chanté bien, comme on le fait rarement. La chanson était triste et tendre. Une voix de baryton veloutée vibrait émue et réservée, comme si elle voulait affirmer les lamentations passionnées d’un ténor puissant et sonore. Et il se plaignait de ne penser, durant les jours et les nuits, qu’à elle — à elle seule…

C’est de toi seule que je rêve, pleurait le ténor.

Je rêve, affirmait tristement le baryton.