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voyage du condottière

On monte, on monte. Les ruelles pierreuses, rouges au soleil, sont violettes dans l’ombre. Le ruisseau coule au milieu. L’ordure même a son air de béatitude ; les mouches ronflent contre les bornes. Il y a encore des figues noires aux branches des figuiers, par-dessus les murs.

À Serbelloni, partout des bancs. Les peupliers d’Italie font la pyramide, et les chênes en dôme s’arrondissent entre les clochetons aigus des cyprès. Les bosquets, les retraites se cachent derrière les chevelures complices du lierre. L’invitation aux baisers passe dans la brise ; les feuilles se caressent comme des chattes. L’air est si fin, si tiède et si tendre, il a des touches si subtiles et si lentes qu’on le sent comme une main, comme un baiser entre les cheveux et la nuque. Et telles des lèvres timides, il glisse sur la fraîcheur des seins ; les jeunes femmes lui abandonnent leur gorge sous la guimpe. Je frôle une nymphe blonde, qui a l’odeur de l’abricot.

À Bellagio sur le lac, et à Serbelloni sur Bellagio, on est à la fourche des eaux. La vue de Serbelloni ne laisse rien échapper : elle offre tout le pays sur un plateau de vermeil. Bellagio, c’est Belle aise. Vers le Ponant, la Tremezzina se dessine, le jardin dans le parc des voluptés lombardes : une colonnade de marbre sur une main de terre se profile dans l’eau. La villa Carlotta, la villa Poldi, les noms de Milan chers à Stendhal : mais les Milanais n’y sont plus, il me semble. Même un village s’appelle Dongo comme Fabrice. Des ruines riantes, de vieux châteaux, d’antiques tours, des torrents lointains, pareils à un fil de lait sur la montagne, tout est plaisir dans la lumière. Point de deuil. Et si j’ai cheminé le long d’un cimetière, je n’y crois pas.

Je descends vers le lac. Des oranges mûres pendent sous la