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voyage du condottière

feuille longue. Et comme des éclairs brillants, qui sortent de la terre, les lézards filent sur les cailloux d’argent. Belle comme un sentier royal, une allée de grand cyprès s’abaisse, toujours plus large, vers la marine. Autour d’un clocher carré, plein de ciel et de soleil, les pointes des cyprès piquent l’espace de lances pacifiques ; et l’odeur rayonne du bois incorruptible. Dans le clocher, un rayon d’or fait corde à la cloche. L’allée finit sur l’eau éblouissante : au delà, sur l’autre rive, dans les forêts de la montagne, les demeures blanches dorment, repues de clarté, comme des brebis sur une pente.

Une barque est amarrée dans les fleurs. Tandis que les flots du lac multiplient languissamment son sourire, des femmes étendues sourient vaguement à leur propre langueur. Elles sont toutes en blanc, comme des fleurs. On dirait qu’elles attendent aussi qu’on les cueille. Une pensée plane entre le ciel et l’eau, comme un oiseau invisible : c’est que tous les voiles, ici, ne sont que d’un moment, un écran fragile entre la volupté et le désir. La grâce du lac est ainsi faite d’aménité et de complaisance. Ce n’est pas la mer, ni ses tragédies brusques ; ce n’est pas le fleuve et son éternel renouvellement. Le lac est le miroir du séjour. Tout y fait scène et tableau dans un cadre juste. Et partout la montagne y enferme un monde clos sur son bonheur.

Le devoir n’a plus de sens ; la durée n’a plus de plans ; tout est dans l’instant, et le plaisir est le seul espace. Ces jeunes femmes aux bras nus, ces têtes ployées, cette langueur que le rythme de la gorge soulève si doucement, comme un autre flot où l’on ne résiste pas, quelles plages voluptueuses ! Les regards et les paroles roucoulent. Toutes les colombes ne sont pas borromées.

Ô terre complaisante ! Assurément, c’est ici que Pandarus a pris femme, après la chute de Troie.