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voyage du condottière

L’Hôpital Majeur est un magnifique palais de briques : les fenêtres sont les plus belles de Milan. Les ogives ornées de fruits, et d’enfants rieurs, dans un cadre d’oves et de feuillages ; les charmantes colonnettes qui divisent la baie ; les bustes en ronde bosse au partage des lobes : c’est tout le charme rustique et fort de la terre cuite ; non pas une architecture paysanne, mais la matière de la jeunesse robuste, qui montre sa peau : avec combien de grâce et de mesure ! La matière a ses vertus. La brique est vivante à souhait. Le marbre est solennel ou funèbre : il est le derme des rois, il représente les pouvoirs de l’État. Quant à la pierre, elle est l’individu, ce qu’il y a de plus beau et ce qu’il y a de pire, le grand homme ou le sot ; et moins encore : le médiocre.

Ils ont un jardin où, les jours d’été, on voudrait se piquer à la veine, pour donner une goutte de sang aux fleurs mourantes. Pas un arbre n’y fait de l’ombre. On ne voit point de la poussière sur les lauriers, mais des lauriers qui servent de mannequins à la poussière.

Je ne sache pas de ville, où l’on rencontre tant d’hommes en culottes. Une partie de ce peuple semble ainsi marcher sur des jambes de bois.

À Milan, on boit du lait délicieux, épais et parfumé. Mais partout on vend de la bière : ce pays est plein d’Allemands. On a cru les y aimer ; puis on les a subis : ils y sont, à présent, moqués, haïs et redoutés.

Le ventre de l’Italie moderne est ici, et peut-être le cœur s’y noie. Sous un ciel sans nuances, la vie y est violente et lourde,