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voyage du condottière

quand le ciel se couvre, le Dôme blême tourne à la pièce montée, en sucre, sur la place : l’allégorie n’a plus qu’à l’y prendre, et à le servir sur la table des érudits allemands, ces géants aveugles. Jamais on ne vit mieux qu’avec du sucre on doit faire du marbre, et qu’avec du marbre, la science aidant, grâce à Dieu, bientôt on fera du sucre.

Au soleil cru, la laideur du Dôme est éclatante : il ne veut pas fondre, et pourtant, cube hérissé de piquants, il vacille pour l’œil dans toutes les perspectives : pas une ligne solide ; toutes semblent ridées et trembler sous un voile d’eau. C’est pourquoi il n’est jamais si beau que sous la brume ou par la pluie : tout le détail s’efface ; et l’apparition se fait magique, comme un château de brouillard, dans les montagnes.

Au-dedans, le marbre a le ton de l’os. Les nefs latérales se replient sur le grand vaisseau, comme les plans des côtes. On marche au creux d’une bête colossale, au centre du squelette, dans une forêt de vertèbres. La richesse du rythme rappelle le génie des cathédrales. Sylve de rêve, basilique de givre, les fûts des piliers, pressés comme des frênes, s’élancent pour porter les voûtes des cinq nefs. Et quand l’ombre du soir descend, le mystère baigne enfin les allées de cette église ample, froide et grandiose. Que ne s’allume alors le candélabre à sept branches, le plus bel objet qui soit dans la cathédrale : à peine s’il le cède au candélabre de Reims : français d’ailleurs comme l’autre, et du même temps, tous deux sont fils de Saint-Louis. Quelle vie dans la matière ! Ce n’est plus de l’ornement : c’est de la nature qui veut durer. Ce bronze a la beauté d’un arbre éternel. Un goût exquis dans la puissance.

Je le sens trop : je voyage d’abord en architecte, et je n’aime que les chefs-d’œuvre.