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Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/10

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voyage du condottière

Comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une œuvre d’art : une création. De la plus humble à la plus haute, la création porte témoignage d’un créateur. Les pays ne sont que ce qu’il est. Ils varient avec ceux qui les parcourent. Il n’est de véritable connaissance que dans une œuvre d’art. Toute l’histoire est sujette au doute. La vérité des historiens est une erreur infaillible. Qui voyage pour prouver des idées, ne fait point d’autre preuve que d’être sans vie, et sans vertu à la susciter.

Un homme voyage pour sentir et pour vivre. À mesure qu’il voit du pays, c’est lui-même qui vaut mieux la peine d’être vu. Il se fait chaque jour plus riche de tout ce qu’il découvre. Voilà pourquoi le voyage est si beau, quand on l’a derrière soi : il n’est plus, et l’on demeure ! C’est le moment où il se dépouille. Le souvenir le décante de toute médiocrité. Et le voyageur, penché sur sa toison d’or, oublie toutes les ruses de la route, tous les ennuis et peut-être même qu’il a épousé Médée.

Je ferai donc le portrait de Jan-Félix Caërdal, le Condottière, dont c’est ici le voyage. Je dirai quel était ce chevalier errant, que je vis partir de Bretagne pour conquérir l’Italie. Car désormais, dans un monde en proie à la cohue et à la plèbe, la plus haute conquête est l’œuvre d’art.

Caërdal a trente-trois ans. Les années d’océan et de brume donnent de l’espace à l’âme. C’est un homme qui a toujours été en passion. Et c’est par là qu’on l’a si peu compris.

Parce qu’il était en passion, soit qu’il aimât une créature mortelle, soit qu’il fût tout entier à une forme de l’art ou de la vie, il a paru toujours absent de l’ordre commun, sans règle, ou un tyran pour autrui. Mais, au contraire il n’eût pas entrepris sur