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voyage du condottière

me prennent le cœur, qui le nourrissent, qui me révèlent un trésor de la nature, qui m’enrichissent. Ce n’est pas assez de nous plaire, ni de me faire sourire. Corrège ne séduit même pas. Quelle idée, quel plaisir même reste-t-il de toutes ces peintures ?

Il semble un Pérugin virtuose, un Léonard sans pensée. Sa grâce est presque niaise, tant elle est continue, tant elle manque de force. Toutes ces figures m’ennuient avec leur éternel sourire mou, leur feu d’ébriété factice. Elles ne sont pas heureuses ; elles font semblant ; elles miment le bonheur. Il faut qu’elles sourient et qu’elles semblent ivres de plaisir ; mais elles ne sont ivres que de sucre.

Ces formes même ne sont pas si belles. Jésus dans sa coupole fait un saut de grenouille. La beauté de Corrège est une gageure contre le caractère. Toutes les femmes sont rondes ; tous les hommes font valoir leurs fesses. Des rondeurs, des rondeurs, et des faunes trois fois saints : ils n’ont plus de pointe. L’extase de ces visages est sotte. Les femmes sont bêtes et molles. À ce prix, les plus belles sont laides pour mon goût.

En tant que surface à peindre, la coupole est un système absurde. Rien n’est fâcheux comme une voûte peinte. Ou trop de jour ; ou pas assez. Ou l’ombre, ou la lumière, la coupole fait toujours une grande victime.

Le ridicule est fatal, parce qu’on ne peut croire à ces figures. Que font-elles là-haut ? Qu’ont-ils donc, les uns à lire, les autres à méditer, tous à se poursuivre, tous gymnastes, qui posés sur un talon, qui sur un doigt, sur le coude, tous à faux et de guingois ? Dans la coupole, le mouvement grimace.

Pour peindre une coupole, il faudrait lancer dans les airs un monde surhumain ; et surtout, dans un esprit d’un ordre et d’une