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voyage du condottière

jambes, pour avoir pendu des grappes de corps aux treilles d’une voûte ! L’homme est toujours un enfant au cirque : dans l’art, il est d’abord sensible au tour de force ; et plus il le croit difficile, plus il l’admire. On voit bien que Corrège est le dieu des Carraches. Or, grattez l’amateur de peinture, vous trouvez l’élève ou le dévot des Carraches. Le public n’aime que le virtuose et l’anecdote. Les Carraches sont les peintres de tout le monde, comme en musique tout le monde préfère le chanteur de bravoure à Wagner et Gounod à Bach.

La forme est un grand mystère, puisqu’elle est le contour de la vie. Et ce divin mystère, je dirai qu’elle en est à la fois l’ombre et l’enveloppe. Le nu est la forme des formes, directe et terrible. Un vrai poète n’aborde le nu qu’avec tremblement.

La forme, en art, est le langage de la parole intérieure. Le modèle révèle le sentiment du bel objet qui veut vivre, et ses passions muettes. Les volumes en expriment l’énergie.

L’habileté, le suprême talent, l’honneur du virtuose ne se discutent même pas dans Corrège. Mais il est si facile, qu’il est victime de ses dons. Il fait ce qu’il veut de son violon ; il cesse de penser à l’air qu’il joue, tant il est sûr de jouer à miracle. Il peut manquer étrangement de goût, et c’est alors d’intelligence ; ou pour mieux dire, de rythme : car le goût est un mode du rythme.

Dans ses meilleures œuvres, il n’a point égard à son sujet plus que dans les moindres. Un tableau fameux, au musée de la Pilotta, c’est la Madone de Saint Jérôme : la Madeleine tant admirée est une actrice en habits de cour, pas même pécheresse ; Saint-Jérôme est une espèce de berger Daphnis, un faune galant ; et le grand anachorète tient en laisse un lion de théâtre, en carton jaune. Au Dôme, dans les pendentifs de la Coupole, sur des