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voyage du condottière

morte chez les Anciens, n’ayant pu vivre avec l’Amour. Psyché, conçue dans la couleur, fait ses premiers mouvements : elle s’éveille à Ravenne. De là, ces yeux immenses, tournés sur un monde inconnu.

Ô solitude des absides. Elles sont huit dans le sépulcre circulaire, où triomphe Théodora. Le seul jour luit d’en haut, tombant comme dans une cloche au fond de la paix marine. L’étrange église, faite de dômes mous portant sur des piliers lourds, semble une plante sans nom des profondeurs, une méduse de pierre, dont les tentacules cherchent le sol, et dont les oignons, les racines bulbeuses flottent en l’air. Le calme de ce vaisseau enveloppe un mystère. Le grand silence est un cri qu’on étouffe. Tout, à S. Vital, est en hélices et en spirales ; tout y a des retours et des repentirs jaloux. Seule, la lumière confesse son secret magique. On ne pense plus à la Bible ni à l’Évangile, ni aux anges, ni à la majesté impériale. Le désir de savoir et de comprendre s’éteint. J’ai pris de l’opium. Il pleut de l’or, avec douceur, dans l’Orient triste. Les visions se déroulent sur une trame d’ombre. Le bleu est le ciel du crépuscule, sombre velours ; le vert est de mousse et d’émeraude. L’orange chante à l’octave de l’or ; le blanc pur des voiles est doux comme les plumes du cygne. Et le violet tient tout l’accord. Le goût profond de l’harmonie, la vertu musicale, voilà le don qu’offrent au monde les hymnes de Ravenne.

L’heure est venue de plonger les yeux dans les yeux du Christ, à Saint-Apollinaire Neuf. On ne le saurait voir de trop près.

Des yeux, il est tout yeux ; les paupières et les sourcils les triplent. Le corps entier a le jet d’une longue pupille. La figure