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voyage du condottière

de la poitrine, pour lui être sans cesse restitué, à seule fin qu’un nouvel arrachement l’en tire et la déchire. Et je compris alors qu’elle ne pouvait pas obtenir la grâce du repos ni le baume de la mort, parce que je l’aimais toujours et que, ne devant jamais finir de l’aimer, mon amour la garde, pour jamais, au châtiment de la vie, et au retour sans fin de la douleur.

Dans la basilique des pins, où chaque arbre est une colonne de porphyre, l’or du couchant, à présent, chante complies. L’immobile incendie sommeille encore sous les ombrelles. Et tous les oiseaux s’étaient tus. À peine si, de loin en loin, un cri léger, la dernière note d’un trille, tombait, comme une goutte, dans l’effusion de la lumière. Le silence du soir accomplissait la mélancolie du crépuscule. Pour suave, pour enchanteur qu’il pût être, quel chant de rossignol n’eût pas troublé l’immense rêverie de ce désert, à l’heure suprême ? La perfection s’achève dans le silence.

Tout est rêve, tout est silence.

La tête des pins est déjà dans la nuit bleue. Et sous les arbres, l’ombre est presque noire ; mais les colonnes sylvestres sont rouges encore, et leurs pieds baignent dans le sang. Tout est silence, sauf un murmure lointain, comme la respiration de l’eau, et peut-être, là-bas, dans quelque taillis mouillé, la flûte lente d’une bête nocturne.

Et par l’espace ardent, le bruissement des pins frémissait en cadence, pareil sous le vent du soir à une mer plus haute, qu’un souffle du large eût poussée sur les sables célestes. Dans le calme et la mélancolie, je m’abîmai, comme la sainte forêt, sur moi-même, retenant le feu de l’Occident dans mes paupières, et me laissant bercer à la paix sans fin de la grande harmonie.