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voyage du condottière

voudraient bien que les adversaires jouent du couteau. Un gros d’Allemands roulent des yeux ronds : les uns s’esclaffent ; ils vomissent de la gorge une épaisse gaîté. Les autres, sérieux comme leurs bésicles d’or, prétendent se jeter dans la mêlée et imposer leur paix raisonnable ; ils n’ont peut-être rien vu : mais ils savent qu’ils ont raison : ils doivent avoir un texte là-dessus. Quant aux quelques Français, présents sur la place, déjà ils se divisent : ils sont prêts à prendre parti dans l’un des camps, avec passion, avec excès, et par jeu. Deux pourtant sont là, comme s’ils n’y étaient pas, même celui qui observe et à qui rien n’échappe : je reconnais en eux le Celte, qui ne cède jamais à la fatalité, qui est toujours avide de connaître, et qui oppose au destin un inlassable et silencieux dédain, pour toute révolte.

Je monte à la Tour une autre fois. Toute lourde, et compacte, et grasse qu’elle soit, Milan a une forme. Elle est bien le fromage d’hommes, ocellé de rues et de places, que j’ai vu. Le vieux Milan boucle sa ceinture de canaux maigres au Castello. Un autre fromage, concentrique au premier, et d’un rayon presque double, s’est fait une croûte de boulevards et de bastions. Sans doute, le pâté humain s’étendra encore. Milan est le type de la fourmilière. Telle est donc sa ressemblance aux villes de la Chine ; et ce n’est pas sans raison, j’imagine, qu’elle est l’entrepôt des cocons et le marché de la soie.