Aller au contenu

Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
voyage du condottière

ter à la nature, ne montre que sa faiblesse à l’égard de la nature. On pense à corriger la nature, quand on échoue à la révéler. Où l’on croit mettre de la beauté, on ôte de la vie. La plus haute beauté n’est qu’une révélation de la nature. Dans le sentiment seul est tout le rêve. En art, la mesure du sentiment est l’émotion. Au lieu de baisser les yeux, et de faire la grimace, il faudrait que le visage divin de l’homme se contemplât enfin, et fraternel à toute forme que l’homme osât se dire : Ô prends en pitié, prends en amour la splendide merveille de ton corps.

À Léonard tout est symbole : de là qu’il a tant besoin de la nature, et qu’il en est si avide. Mais si soumis qu’il y soit, il s’en fait l’interprète au lieu d’en être le confident. Toute son œuvre est une rêverie sur les origines. Aristote a mis dans ses carnets toute la science du monde grec. Léonard, dans les siens, a mis toute la pensée de la Renaissance latine. Il n’a point la science universelle, ni l’art souverain : laissons ces mots de parade aux esprits bateleurs, montés sur les tréteaux. Mais il sert l’esprit qui domine toute matière : il a le sens de la connaissance, et par là, le sens du mystère. Lui seul, de son temps, a voulu pénétrer le mystère, et seul il en a caressé l’âme subtile. C’est pourquoi il eut la passion de la grâce et du sourire : la grâce qui sourit, voilà une forme du mystère, et la propre mélodie des visages. Il ne lui a manqué que les larmes, la musique d’amour.

Il faut toujours faire l’unité en soi. Ou plutôt l’unité est faite par la force. La simplicité en art est du même ordre que l’unité dans le caractère.

Il est trop certain que l’objet le plus simple est d’une complexité infinie. Rien n’est simple à nos yeux qu’en fonction de notre aveuglement ou de notre ignorance. C’est l’émotion qui fait