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voyage du condottière

blent de vieux papier. Sous le berceau des vitres, il fait une chaleur de serre. La lumière est aussi laide, aussi crue, que dans un atelier de chimiste. Par les temps de pluie, rien de faux et de pesant comme ce jour lugubre, qui traîne en linge gris. Mais l’odeur, surtout, est à donner le frisson : l’air humide sent le chien crevé, les socques, le caoutchouc, le poil, le cadavre et la chique. Dans la saison chaude, la poussière pétille : les atomes dansent dans le soleil ; chaque grain a son poivre qui se mêle à la puanteur profonde des chambres correctionnelles, au remugle de la fiente humaine, à la note écœurante des mauvais savons et aux nuages du tabac noir percé d’une paille.

On ne verrait pas de tels hangars, élevés à tant de frais, partout où l’on peut, en Italie, s’ils ne répondaient à quelque besoin de la nation. Ils tiennent du marché et de la vieille basilique. La Galerie est le forum des bourgeois. Et ils y sont à l’abri de la pluie, que l’Italien fuit comme la peste. Telle est la coûteuse halle aux propos, aux pots de vin, aux intrigues, une bourse aux vanités. Autrefois, le Cours était le lieu de réunion, ou la loge au théâtre. Mais les rues ne sont plus assez sûres. La plèbe est trop nombreuse, et menace d’être puissante. J’ai vu Milan sortir d’une émeute, où le peuple tint tête à une armée : mise à feu et à sang, la plèbe a fait connaître sa force. Elle est désormais une ville dans la ville. La haine entoure la richesse, comme un fleuve baigne une citadelle.

Ici, dans la Galerie, la classe qui tient la fortune et le pouvoir peut se croire à couvert. Le peuple y entre et y passe, peu importe : il n’est pas chez lui. Le peuple n’est pas à l’aise dans les espaces clos. Il ne se sent le maître que sous le toit de Jupiter, en plein air. Pris entre les murailles, il ne sait où mettre ses coudes. La voûte de verre, où crépite la pluie, où la lumière se brise, les