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voyage du condottière

à Venise, nul n’a été plus fidèle à la cause de la sage République, et à la dévotion de Saint Marc. Au Campo Santo, dans le coin le plus retiré, une vieille mosaïque exprime le sentiment de la foule chrétienne, la prière des cœurs pacifiques dans les temps de toute violence, quand la guerre civile n’avait de relâche que sous le talon des bandes étrangères, au milieu du sac et de l’incendie. La Piété est blessée au flanc par la Cruauté furieuse ; et la Foi arrache la langue à la Discorde.

Cette Crémone a du cœur et des larmes. Elle est sérieuse et chaude. Quel passant, de ceux qui ne cherchent que le plaisir, ne la trouvera pas sombre et triste ? Ses arbres même, perdus entre les murailles qu’ils caressent d’ombre, ne l’égayent pas. Mais elle a le charme de la mélancolie ; et certes, à la voir, on l’entend : on sent bien qu’elle était faite pour la musique.

Une pensive gravité réside sur les façades de brique ; ces figures hâlées, qui méditent, se regardent avec ardeur, et ne s’imitent pas. Elles ne sont point mornes ni maussades. De fortes arêtes varient le jet du Torrazzo, qui enfonce sa flèche conique comme une pointe de cactus dans le ciel rouge. Par les galeries ouvertes, aux deux étages les plus hauts, les martinets aux longues ailes passent, aigus, et repassent.

Quel goût hardi et sévère a élevé le Palais Public sur de légères arcades, à côté du Palais des Capitaines, masse si puissante qu’elle n’a peut-être pas sa pareille dans l’Italie du Nord. Il serait monstrueux, ce palais des Gonfaloniers, s’il ne respirait une énergie redoutable : c’est la maison du glaive. Sur le ciel sanglant, elle porte la couronne d’admirables créneaux. Et sa corniche est vraiment le diadème d’une puissance crénelée et royale.

Je n’oublierai jamais l’ardeur de Crémone.